Hubert Bonnisseur de La Bath«J’aime me battre.»
Il y a fort à faire en ce bas monde. De tous les combats à mener, il en est un qui me touche particulièrement: celui de l’accès à la culture, que je considère préalable à l’émancipation personnelle.
Car l’épanouissement intellectuel demeure aujourd’hui, tel le petit doigt levé de l’anse lors du boire, l’exclusivité d’une maigre couche du décanteur social. La culture est devenu la blonde pulpeuse qu’on aime exposer lors d’apéritifs mondains, et peu importe le taux de silicone, tout va bien.
Dès lors pourquoi cette falsification nous dérange-t-elle si peu? Probablement parce que la culture a été industrialisée, alors même que le processus d’industrialisation se trouve fondamentalement incompatible avec celle-ci.
Qu’est-il heureux et viable d’imaginer pour changer tout ça ? Ces quelques éclaircissements seront, je l’espère, sources de réflexion.
L’accessibilité comme sacerdoce
Comment ne pas s’apercevoir aujourd’hui que quelque chose cloche dans l’accès à la culture? On trouve de tout un peu partout, Internet comme moyen universel, et les jeunes générations comme béta-testeurs. Nous sommes devenus des pirates ordinaires alors même que nous instaurons des lois qui nous incriminent. Nous avons endoctriné nos enfants et leur avons fait comprendre des mécanismes commerciaux injustifiables.
Dialogue avec une maman pirate :
«Maman, comment on fait les bébés ?»
«Et bien tu vois, papa uploade ses fichiers directement en peer-to-peer sur la machine de maman, et grâce à cette contribution, maman peut sortir une version de bébé 1.0 en 9 mois.«
«Mais maman, c’est du piratage ça ?»
«Roooo chérie, t’as encore regardé la télé sans ma permission!»
Et Megaupload? La banque du sperme?
Bon, force est de constater qu’on ne met pas de licences sur les semences (m’enfin ça dépend lesquelles), et que dans ce cas-là le partage est plus «naturel».
Plus sérieusement, il serait intéressant de rendre le partage naturel, car c’est ainsi que notre culture s’étend. Le copyright est une ignominie créée et maintenue par des lobbies, absolument pas un procédé ancestrale dont nous pâtirons de l’absence. Certains ont tendance à prôner son éradication totale. C’est noble, et finalement plus défendable que le système actuel, mais la mise en place d’une telle réforme semble inimaginable. En revanche, à court terme, des initiatives fleurissent dans de nombreux pays «occidentaux». Et nous avons aujourd’hui les outils juridiques pour publier nos créations sous licences libres, voire libératrices. Profitons-en.
Kevin, rouage du système
L’argument principal au maintien du système de copyright reste celui de la rémunération des auteurs. En effet comment rémunérer correctement un auteur, si celui-ci n’opère que de la libre distribution ? À mon avis plusieurs éléments sont à prendre en compte aujourd’hui.
Note: Je prendrai beaucoup dans cet article l’exemple musical car il me touche directement, néanmoins le domaine est transversal avec tous les domaines de création, du premier au 7ème art.Le premier est que les “majors”, et autres intermédiaires indétrônables, deviennent de moins en moins utiles. Lorsque Ray Charles a eu besoin d’un Jazz Band, il semblait évident que l’intervention d’un intermédiaire, alors mécène, était nécessaire pour la rémunération et l’enregistrement de tous les musiciens, ainsi que pour la production, sur bandes magnétiques, du “best-of”. Mais alors à l’heure d’Internet, de la popularisation des ordinateurs personnels, et de l’arrivée des nouvelles générations, c’est tout ce procédé qui prend un coup de vieux.
Car si nous prenons un exemple de démarche créatrice qu’entreprendrait un jeune aujourd’hui, il n’est plus la moindre place pour l’intermédiaire économique.
Kevin est un jeune guitariste de 15 ans.
Sa vie, il la partage entre son lycée qui lui casse les couilles, son groupe de heavy metal, et son ménage à trois: guitare, ordi, et lui dans sa chambre. Kevin, c’est le genre de mec qui, s’il n’est pas en train de traîner sur Internet, grattouille dans un coin des mélodies qui lui plaisent.
Il s’est rendu compte qu’avec son ordinateur portable il pouvait enregistrer une piste de gratte et rejouer par dessus. Ça lui plaît, il a l’impression de jouer en groupe, mais tout seul chez lui.
Il essaye de composer, en enregistrant les riffs qui lui coulent dans les doigts. Puis ça devient une drogue, une perpétuelle recherche “du son”. Le truc dont il pourra être fier et qu’il pourra faire écouter à ses potes.
Et ce “son”, devant la médiocrité de ses compositions, fût finalement une reprise. Aller, “All along the Watchtower”. Il enregistre tout ça, à sa sauce, et le poste sur YouTube.
À vrai dire, des fois, Kevin enregistre des compositions, mais il ne trouve pas la légitimité de les publier parce que, dit-il, “d’autres ont fait mieux”.
Et puis, “sont-elles vraiment originale” ?
Des Kevin, il y en a beaucoup. Mais l’illégalité les guette.
Lawrence LessigNous ne pouvons pas rendre nos enfants passifs, seulement en faire des « pirates ». Est-ce le bon choix ? Nous vivons à cette époque étrange, une prohibition où des pans de nos vies sont en désaccord avec la loi. Des gens normaux le vivent. Nous l’infligeons à nos enfants. Ils vivent en sachant que c’est à l’encontre de la loi. C’est extraordinairement corrosif et cela corrompt l’esprit des lois.
Que dire de ces gens qui commentent spontanément des parties de Starcraft 2 et se retrouvent poussés sur le devant de la scène ?
Que dire de ces merveilles de remix que l’on peut délecter sur Youtube ?
Que dire de tous ces Kevins que l’on encourage sur Internet ?
Il est inenvisageable que la spontanéité avec laquelle ces créations sont réalisées soit remis en cause par nos lois, ou directement par Blizzard, Google ou des majors. Pourtant, c’est le cas.
Amputer tous ces potentiels créatifs alors même qu’ils sont en passe de fonder une nouvelle norme culturelle mondiale est une aberration.
Et pour revenir aux majors, parlons un peu de leurs autres rôles: la “promo” et la distribution. Extrêmement rapidement.
Kevin, c’est le genre de mec qui aime partager sur Facebook. Et puis, un jour, il décide de partager “sa” chanson. Les gens “aiment”. Promotion maximum.
Pour la distribution, il envoie le mp3 à ses potes, il dit même aux plus intéressés quels logiciels et quels réglages il a utilisé. Et puis, il est visible sur Youtube.
Comment je vois Kevin demain ? Je le vois comme un mec qui vit de sa passion, parce que la société le lui permet. Je le vois composer ses chansons, en utilisant des morceaux d’autres chansons, comme “hommage” à ses jeunes années d’écoute. Je le vois faire un carton, avoir un petit site fait par un de ses potes sur lequel il met ses MP3 à prix libre, et sous licences libres. Je le vois cartonner dans des petites salles de concert, et faire son beurre sur la vente de ses albums internet ou physiques auto-produits avec quelques “extra-tracks”.
Kevin vît de sa passion, et plus il gagne en maturité, mieux il gagne sa vie.
Majors, vous avez perdus
Sortons du cas “legacy” de Kevin.
Aujourd’hui la majorité des moyens de composition, production, promotion et distribution se font sans intermédiaire et beaucoup plus spontanément. Ce n’est pas votre propagande, vos lois, ou vos amendes qui arrêteront cela.
La génération qui nous succède est littéralement né sur Youtube. Elle aura, dès le plus jeune âge, accès à des ressources infinies. La solution n’est pas dans la restriction ou la criminalisation, mais bien dans l’éducation.
Apprenons à nos enfants à utiliser l’ordinateur et Internet, à se les approprier, et ne m’obligez pas à leur expliquer que le média qu’ils utilisent “appartient” à quelqu’un, quelque part. Cela reviendrait à leur expliquer que la petite souris existe, et que selon la loi, toutes leurs dents lui appartiennent.
Il est toujours très difficile d’expliquer des concepts aux plus jeunes, mais on y arrive au catéchisme, pourquoi pas en cours d’informatique ?
Reconsidérez le consommateur.
Et puis on nous prend pour des jambons. Qui ne s’est jamais senti humilié en lisant les propos de Pascal Nègre ? Qui n’a jamais été mal à l’aise quand il a appris que le contenu de son disque dur pouvait lui coûter 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende?
Dans une «lettre ouverte aux défenseur de la culture», la rédaction du JDG affirmait :
[…] la plupart de vos (les majors, NDLR) actions ont été des réactions, courant après ce que vous appelez le piratage. Le freiner, le sceller, le punir. La position des hommes qui influent ou dirigent, c’est de mener des mouvements, de les comprendre en amont, pas de rester sans cesse dans le post-évènement.
Prenez en compte que nous sommes, par défaut, doués de raison, et que nous pourrons, d’une manière ou d’une autre arriver à nos fins (par exemple, obtenir le média). Prenez en compte que les coûts de productions réduisent, que les musiciens n’ont pas forcément tous besoin d’un Jazz-band et que beaucoup de ce que vous éditez n’est qu’un remix, brut ou intellectuel, d’autres éditions. Enfin, prenez en compte que vous avez pu vous tromper totalement, et que changer de stratégie vous sauvera.
La crise de la valeur à l’heure de l’économie libre
Pour bien comprendre les modèles économiques du libre, il est nécessaire de remettre en question la valeur des choses: Un enchaînement rapide d’images (autrement appelé film), vaut-il 8€90 ? Pas forcément, mais le cadre – la salle – coûte un certain prix. Une succession de sons (régulièrement appelé morceau de musique) vaut-il 1€ ? Peut-être, mais c’est surtout la plateforme de téléchargement qui n’est pas gratuite.
Ce que je veux souligner, c’est que la connaissance, la culture ou l’originalité de l’auteur n’ont pas de coût. Ce qui en a un, c’est le service, l’infrastructure ou média.
Le jugement de la valeur ne devrait pas revenir à l’auteur, et encore moins à l’éditeur. Refuser de payer 8€90 pour aller voir les 3 mousquetaires me paraît tout aussi légitime que de vouloir donner 20€ pour encourager la création de Pulp Fiction 2. Mais les deux sont compliqués.
Nous observons une crise de la valeur, et nous n’avons aucun moyen crédible de la rétablir équitablement. Ce qui devrait être possible, c’est de donner à l’auteur les moyens de se faire connaître, d’apparaître sur un catalogue dans des catégories et d’être mis au même niveau que les autres auteurs. Ceci fait, les seuls juges seront les consommateurs, qui pour assouvir leur avidité de connaissance, téléchargeront à prix libre les œuvres, se les approprieront, et jugeront leur valeur. Puis ceux qui veulent et ceux qui peuvent donneront ou iront plus volontiers assister à des représentations.
Pour cela, il existe des plate-formes comme Jamendo, mais elles restent minoritaire, alors que leur financement et leur création devraient être fait par Universal, Sony, ou Warner.
Ça n’est pas utopique, on ne s’en donne simplement pas les moyens. Ceux qui s’en donnent, les pirates, sont également ceux qui consomment le plus. Car ce sont ceux qui écoutent, jugent, et encouragent. Ils ont un sens critique lié à leur excroissance culturelle, et sont plus à même de déceler le charlatan de l’expert.
À une échelle globale, nul doute que cela nous éviterait l’émergence de nombreuses bouses, ainsi que la starification markenting indécente et outrageuse.
Alors essayez: publiez systématiquement sous licences libres, donnez accès à votre travail, oubliez le petit conditionnement qui vous susurre que brider vos créations fait faire de l’argent facile.
Et ce n’est pas tant un psaume hippie qu’un palier nécessaire.
Librement,
Kload
N’hésitez pas à aller voir la conférence TED de Lawrence Lessig sur le sujet:
http://www.ted.com/talks/larry_lessig_says_the_law_is_strangling_creativity.html